jeudi 24 février 2011

Fenêtres sur rue


     Un crépuscule mauve s’étend sur la ville. De l’obscurité émerge la pointe d’un immeuble qui avance sur l’avenue comme un paquebot à l’amarre ; un lampadaire jette ses rayons blafards à l’avant-poste du rez-de-chaussée. Soudain le premier étage s’éclaire. Lily traverse les pièces à vive allure, un téléphone à l’oreille. Elle défait son écharpe sans lâcher le minuscule combiné. A l’étage au-dessus, Edgar a tiré son fauteuil près de la lampe et ouvre son journal en soupirant. Les jumeaux du cinquième conspirent sous le piano en guettant le bruit de la clé dans la serrure. La pauvre Madame D. a encore oublié la moitié de ses courses au supermarché. Son mari lève les yeux au ciel, la colonne de l’ascenseur s’illumine. Derrière une fenêtre du sixième plongé dans le noir, une ombre a bougé. Le mirage mouvant d’un enfant, le front collé à la vitre, pose sur la rue des yeux de porcelaine. Sa main levée, est-ce à moi qu’il fait signe ? 
« Dis donc, tu n’as rien de mieux à faire que d’espionner les voisins ? »
L’immeuble s’enfonce dans la nuit, emportant sa charge de vies précises et muettes comme une pantomime sans spectateur.
texte Eugénie Rambaud

3 commentaires:

  1. Du rythme. Des images sans clichés. La rédactrice est-elle photographe ?
    Seul blafard est un peu convenu. C'est le seul alors cela se voit...
    Cet immeuble est vraiment très parisien, de l'époque où chaque bourgeois voulait sa tour.
    S'agit-il de tromper une goutte d'ennui ?

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  2. Peeping Eugénie ! Sans doute un de tes très bons textes... Bravo !
    @ Dorlothée : chic, du "flottant" en arrière-plan !

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  3. @FandeVian: merci pour vos remarques, il n'y a rien de plus encourageant qu'un lecteur attentif et exigeant. Et la rédactrice n'est pas photographe pour deux sous, il n'y a que la plume qu'elle sache manier...
    @JM: Merci, merci (sous vos applaudissements)
    @Dorothea: je vote pour l'adoption de Dorlothée en pseudo, si on publie jamais nos Parisiennes, kestendis?

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