jeudi 30 septembre 2010

De l’autre côté

De retour du Vieux Continent, Peter Goldberg, seul dans son appartement de Soho insalubre et surchauffé, fait défiler ses photos de vacances sur l’écran de son ordinateur. Souvenirs de villes européennes, beaucoup de bâtiments modernes (Peter est architecte). Mais une tâche verte et or surgit au milieu de la jungle de béton et de tôle. Un jardin ou un square, comme il y en a tant à Paris. Un plan large sur les allées désertes, les parterres sagement fleuris, le tapis de feuilles mortes et une silhouette qui semble sortir d’un bois. Il ne se souvient pas de ce cliché, moins encore de cette jeune fille qu’on distingue juste assez pour chercher à en savoir plus. Une de ces Parisiennes effrontée qui glisse sur votre regard comme sur une patinoire, tire sur sa cigarette en fermant les yeux, ne sourit jamais et part en laissant l’empreinte brûlante de ses doigts sur votre bras…

Peter soupire, zoome sur la silhouette et regarde par la fenêtre tandis qu’apparaît sur l’écran, en gros plan pixellisé, le visage de sa voisine de palier.

texte Eugénie Rambaud


jeudi 23 septembre 2010

La jolie fille

Vous êtes assis à une terrasse dans les jardins du Palais-Royal. Une fille, de préférence grande et mince, fait les cent pas devant vous. Vous n’êtes pas d’un naturel entreprenant, mais vous êtes attablé seul devant un café refroidi, et vous passez le temps dans la contemplation d’une jolie paire de jambes très peu vêtue. De temps en temps la fille s’arrête près de votre table et fixe l’intérieur du café. Ses yeux sont voilés par la brume d’une paire de D&G à peine teintée, mais le pli de ses lèvres, leur frémissement, la morsure de ses dents blanches sur leur pulpe corail trahissent son impatience. Soudain elle s’appuie sur la chaise qui vous fait face et pousse un soupir d’exaspération. Elle baisse vers vous son regard demi-teint et demande : « Vous auriez une cigarette ? »

Vous l’avez laissée partir. Peut-être pour le seul plaisir de la voir s’éloigner, et de suivre des yeux le ciseau de ses jambes qui disparaît et réapparaît entre les arbres de l’allée.


texte Eugénie Rambaud

jeudi 16 septembre 2010

La rentrée


Elle marche à vive allure en serrant contre elle le sac fraîchement acquis dans une boutique hors de prix, son cadeau de rentrée. Les bras qui hier encore se frottaient nus au soleil du Sud sont enserrés dans des manches longues, les pieds dans des bottines sévèrement lacées. Elle sautille entre les flaques, le sac bat sa hanche ; l’air des Tuileries sent l’humus et le sable mouillé, un coup de vent ébouriffe sa tignasse, elle prendrait le temps de rire si elle n’était pas si pressée. Mais un rayon de soleil crève le ciel d’ardoise comme elle passe devant le Café Marly – le souvenir la retient, du ciel immense, de la Pyramide illuminée et de la main qui tenait la sienne dans la douceur d’une nuit d’été.

texte Eugénie Rambaud


jeudi 9 septembre 2010

Paris l’été

Il y avait la blonde toujours pressée, qui lit Le Monde dans le métro en buvant son café. La petite avec les tâches de rousseur, qui prend Libé pour la bonne conscience, et le jeudi Gala, en rougissant. Les beaux yeux bleus rieurs qui ne viennent que le samedi, pour l’Officiel des spectacles. L’occasionnelle du dimanche matin, qui demande l’Équipe d’une voix rauque et sent le croissant chaud. Et la promeneuse du Palais-Royal, qui n’achète rien mais ne manque jamais de lui faire un petit signe de la main. Vivement septembre qu’elles reviennent, les Parisiennes…

texte Eugénie Rambaud