Sûrement, elle attendait quelqu’un. À moins qu’elle ne vienne juste d’arriver. À cette heure-ci, le café de la gare comptait une poignée de voyageurs au regard flou et Ludo, un ouvrier du bâtiment qui sirotait un grand crème au comptoir en attendant l’ouverture de son chantier. Il s’amusait de leur visage défait. « On leur voit la marque des draps sur la figure, avec le sigle, S-N-C-F. » Il dessinait les lettres sur sa joue. Pas elle. Sa joue lisse était posée sur sa main, elle avait masqué ses yeux avec des lunettes de soleil, peut-être dormait-elle en dessous. Elle n’avait pas de bagage. « Vous prenez quelque chose ? » Elle a sursauté. Max, le serveur, était campé devant elle avec son air d’avoir envie d’être ailleurs et ses yeux qui ne se posent jamais vraiment. À tous les coups il l’avait réveillée. « Apporte-nous deux cafés allongés, Max, et tes croissants qu’on vient de livrer, là, les tout chauds, hein, pas ceux d’hier. Vous permettez ? » Je tenais le dossier de la chaise à côté d’elle. Elle a acquiescé. Je ne sais pas pourquoi, ma tête revient toujours aux jolies filles.
Elle arrivait d’Allemagne. Elle était interprète, c’était pour un congrès. Elle n’avait pas beaucoup dormi. Elle aimait l’odeur des cafés de Paris, le matin tôt. Elle a émietté son croissant et grignoté les bouts. Le café était très chaud, elle a grimacé en se brûlant la langue. « Vous vous appelez comment ? » « Julia. » Ludo m’a fait un signe en me montrant l’horloge derrière le bar. Je me suis levé et j’ai sorti des pièces de ma poche. « C’est pour moi. » Quand je suis parti, elle picorait les miettes dans l’assiette et commandait un autre café. Mon numéro de téléphone froissé dans le cendrier.
texte Eugénie Rambaud