« Bonjour Mademoiselle Laval ! » Oh cette pimbêche, je peux pas la sentir. Jamais un bonjour, un merci, ça lui arrache la langue de répondre, on dirait qu'elle a peur de se salir, ça tache pas la politesse ! Du coup, vous savez quoi ? Je fais exprès, quand j'entends sa porte là-haut qui claque, ses talons dans l'escalier - impossible de la confondre avec une autre, elle descend comme si elle était en sucre et qu'elle avait peur de se casser, un pas, et puis un quart d'heure après un autre, tenez moi ça m'insupporte les gens qui savent pas courir, qui se ménagent, qui s'entretiennent, avec des crèmes et tout ça, je suis sûre que ça lui prend une heure tous les matins, de se donner cet air « Attention fragile, ne pas secouer », mais moi j'ai drôlement envie de la secouer, cette poupée-là, alors quand je l'entends qui descend, là, je me mets devant la loge, avec les bras croisés, comme ça, et j'attends. J'attends longtemps, elle habite au quatrième, les filles comme elle c'est en retard tout le temps, et ça se presse jamais. Le matin elle part jamais avant 10 h, quel genre de travail elle fait pour pouvoir se lever si tard ? Sûrement elle travaille pas. Mais alors qu'est-ce qu'elle fait toute la journée ? Je la vois quand elle est presqu'en bas, elle regarde ses pieds elle m'a pas encore vue, elle lève la tête, ça y est elle m'a vue, elle a un mouvement de recul, je vous jure, à chaque fois ça me fait bicher, elle se redresse, là, elle met les épaules bien en arrière, puis elle avance vers moi, avec ses lunettes de soleil qu'on peut pas voir ses yeux, ça me chauffe, je sens que ça monte, et quand elle arrive à ma hauteur, elle tourne la tête comme si j'étais pas là, comme si j'étais personne, comme si à la place où je suis y avait personne, alors je gueule, je suis obligée de gueuler sinon elle pourrait ne pas m'entendre, pourquoi on entendrait plus les gens qu'on voie pas même quand y sont devant vous ? Je gueule : « Bonjour Mademoiselle Laval ! » Et ça rate jamais, elle rougit. Oh ! C'te plaisir que ça me fait ! Tenez, c'est un peu comme un coup de calva en douce avant midi, ça vous fouette les sangs, ensuite on se sent entrain pour faire les cuivres dans les trois escaliers. Voilà ce que ça me fait quand je la vois qui rougit, puis elle me bafouille un truc, j'y comprends rien, et elle accélère sur ses talons pointus, avec ses chevilles qui se tordent, à chaque fois j'espère qu'elle tombe, mais non, faut croire qu'elle maîtrise bien la garce, elle tire sur la porte avec ses petits bras tout maigres, manquerait plus que j'aille lui donner un coup de main, non plus et voilà, elle s'en va, comme si de rien n'était, s'acheter son croissant, tous les matins, oui oui, avec ça qu'elle est toujours aussi maigre, y a pas de justice, ensuite elle repasse devant l'immeuble, venez voir, tenez, là ! justement elle est là, à tous les coups elle va me jeter son papier dans une de mes poubelles, si elle fait ça je lui arrache les yeux, et pourquoi qu'ils sont pas encore passés ceux-là d'ailleurs ? Les fonctionnaires c'est tous des paresseux, avant on avait nos rues propres à 5 h le matin maintenant c'est le dépotoir toute la journée, vous croyez que c'est présentable, dans un quartier comme le nôtre ? On devrait leur mettre des pénalités quand les ordures sont pas ramassées à l'heure. Tout ça parce qu'ils veulent plus se lever à 5 h, les fainéants ! J'ai pas vu, elle l'a jeté ou pas, son papier ? Oui ? Non ? Vous voulez pas me dire ? Vous la protégez ? Pourquoi, vous la connaissez ?
texte Eugénie Rambaud
Et les amis louches de Mlle Laval qui touchent à mon sapin de Noel tous les hivers...
RépondreSupprimer:p
ah (enfin) on va se lâcher et la critiquer un peu notre adorée parisienne, eh oui du courage!
RépondreSupprimerSuper , génial , bravo ! De mieux en mieux!
RépondreSupprimerTon meilleur texte, à mon avis.
RépondreSupprimerTu as bien chopé le monologue... mais attention quand même aux clichés sur le mythe de la piplette à moustache qui emmerde cinq étages au complet !
Sinon : "dépotoir" et "feignant".
Non mais. C'est quoi cette pollution ?
Encore bravo.
@JM Mansuardi, merci encore et toujours d'être présent tous les jeudis avec vos encouragements (le filtre anti-pollution a été actionné, thanks!)
RépondreSupprimersigné Dorlothée
@secondflore: et qui piquent les ampoules dans l'escalier. Incroyable!
RépondreSupprimer@JM: pour dépotoir je plaide coupable, mais faigniants, tout de même... c'était fait esprès... Quant aux clichés, dans ces pages? Je ne vois pas du tout de quoi tu veux parler. Ici on ne dit que la vérité vraie sur les vrais gens. Ma concierge a vraiment de la moustache, et emmerde vraiment les 7 étages des deux bâtiments qu'elle garde.
@Anonyme (j'ai un peu l'impression de m'adresser à l'Homme invisible...) merci beaucoup, votre enthousiasme est le meilleur des moteurs pour continuer.
@Tous nos autres visiteurs anonymes qui ne sont pas Anonyme: On veut encore des commentaires, on veut encore des commentaires! Parlez-nous!!
@ Dorlothée : en fait je suis payé par certains de vos proches pour faire ces commentaires. C'est un job comme un autre. Et ne me demandez pas "combien", j'ai ma dignité.
RépondreSupprimer@ Eugénie : tu as raison (pour une fois). On est toujours tenté, pris dans la fougue de l'écriture, de portraitiser à l'extrême son personnage, d'où l'irrépressible envie de casser les mots pour mieux faire entendre le vulgaire et l'inculte qu'il incarne. Cependant n'y reviens pas, effrontée.
Du souffle...! voilà un texte qui vous agrippe ne vous lâche plus et vous laisse éreinté au bas de l'escalier, éreinté comme la Parisienne à moustaches, partagé entre l'envie de rire et de partir en courant. Tout çà pour un croissant ! Bravo à toutes deux, l'arrière plan parle fort.
RépondreSupprimerQu'est-ce que je disais, Dorlothée...
RépondreSupprimerBravo pour l'écriture Eugénie ! Oui, je suis d'accord, de mieux en mieux !
RépondreSupprimerEt moi aussi, j'adore critiquer, c'est parce que JM n'est pas une fille, il ne peut pas comprendre ce petit plaisir mesquin !!
Continuez ! vivement jeudi ! Et n'oubliez pas de profiter du soleil et des croissants !
Je viens de lire ce petit texte : j'adore !! Bravo ! Changement de style, de ton, très vivant, une vraie scène qui se déroule devant nos yeux !!
RépondreSupprimerEncore d'autres comme celui-là, encore, encore !
RépondreSupprimerAllez !
Pierre