jeudi 25 novembre 2010

Dans le creux de l’oreille

La sonnerie d’un téléphone a troublé le silence. J’ai froncé les sourcils comme tout le monde avant de réaliser que c’était le mien.
- Merci de bien vouloir éteindre vos téléphones portables !
L’objet du délit à la main, je traverse le Petit Palais en courant presque. À cette heure, je pensais trouver le café vide ; mais à une petite table ronde, une jeune femme seule fume une cigarette. Elle sourit à la silhouette bleutée d’un homme qui fait les cent pas de l’autre côté de la baie vitrée. Elle me voit ; elle éteint sa cigarette et se lève. L’homme a disparu. Elle se glisse alors derrière un pilier, extraie de sa robe étroite un tout petit téléphone qu’elle porte à son oreille, blotti dans le creux de ses mains et, les paupières baissées, son dos nu contre la pierre froide, elle écoute sans rien dire. J’entends des pas énergiques sur le marbre, le claquement du boîtier derrière le pilier. Elle jette un coup d’œil à son reflet, lisse une mèche rebelle avant de s’éloigner, tandis que la voix familière de mon répondeur annonce : « Vous avez un nouveau message. » C’était ma mère.
texte Eugénie Rambaud

mercredi 17 novembre 2010

Le départ



Le départ du train n° 8227 pour S***, voie 11, était annoncé avec une heure de retard. L’heure était passée et rien ne venait. Une foule compacte s’était amassée entre le pylône et le distributeur de boissons, guettant sur le dessin des rails le nez fuselé du TGV. Elle se tenait un peu à l’écart, un sac rouge à la main, scrutant avec intensité le bout du quai et les éclats de soleil sur la tôle de la locomotive. Elle bougeait si peu que des pigeons, de plus en plus nombreux, picoraient à ses pieds, lui frôlant les chevilles de leurs plumes. Elle eut un geste pour les chasser. Le train entra en gare, faisant lever ensemble 150 voyageurs et la volée de pigeons battant des ailes autour de la jeune fille. Les oiseaux se réfugièrent sous la charpente métallique tandis que le flot s’écoulait lentement sur la voie 11. Bientôt il ne resta qu’elle sur le quai. Elle attendit que le train fût parti, fit volte-face et sortit de la gare à grandes enjambées, le sac rouge battant ses mollets. Elle avait changé d’avis.


texte Eugénie Rambaud



jeudi 11 novembre 2010

Sous un chapeau de paille


Sous un chapeau de paille, un joli minois blond, une bouche vermeille qui ne sait dire que non et des épaules frêles que le rire secoue. Ma Parisienne est un modèle du genre têtu. Je l’ai trouvée assise sur un banc dans la rue, le nez piqueté de tâches de soleil sous la paille de son chapeau. Avec mon appareil photo et mon plan de métro, j’avais tellement l’air de ce que j’étais qu’elle a cru que je me moquais d’elle ; puis elle a proposé de me servir de guide. Elle a couru devant moi sur ses jambes de sauterelles. Elle a posé à côté d’une colonne Wagram, recueilli dans sa paume un peu de l’eau glacée d’une fontaine, chassé les pigeons du parvis de l’Opéra, refusé de monter dans la grande roue des Tuileries, pris les sens interdits à vélo ; au milieu du Pont-Neuf elle m’a laissé sa main, sur le Pont des Arts elle m’a donné ses lèvres.

Le chapeau de paille est accroché à la fenêtre de ma chambre d’hôtel. Dans le ciel nacré d’octobre, le clocher de l’église Saint-Germain sonne l’heure. Ma Parisienne s’en fout ; elle dort, la main droite posée sur l’oreiller. Je dépose un baiser sur chacun de ses doigts repliés, et ses cils frémissent comme les ailes d’un papillon sur le point de s’envoler.

texte Eugénie Rambaud



jeudi 4 novembre 2010