jeudi 28 avril 2011

L’arrivée



     Sûrement, elle attendait quelqu’un. À moins qu’elle ne vienne juste d’arriver. À cette heure-ci, le café de la gare comptait une poignée de voyageurs au regard flou et Ludo, un ouvrier du bâtiment qui sirotait un grand crème au comptoir en attendant l’ouverture de son chantier. Il s’amusait de leur visage défait. « On leur voit la marque des draps sur la figure, avec le sigle, S-N-C-F. » Il dessinait les lettres sur sa joue. Pas elle. Sa joue lisse était posée sur sa main, elle avait masqué ses yeux avec des lunettes de soleil, peut-être dormait-elle en dessous. Elle n’avait pas de bagage. « Vous prenez quelque chose ? » Elle a sursauté. Max, le serveur, était campé devant elle avec son air d’avoir envie d’être ailleurs et ses yeux qui ne se posent jamais vraiment. À tous les coups il l’avait réveillée. « Apporte-nous deux cafés allongés, Max, et tes croissants qu’on vient de livrer, là, les tout chauds, hein, pas ceux d’hier. Vous permettez ? » Je tenais le dossier de la chaise à côté d’elle. Elle a acquiescé. Je ne sais pas pourquoi, ma tête revient toujours aux jolies filles.
Elle arrivait d’Allemagne. Elle était interprète, c’était pour un congrès. Elle n’avait pas beaucoup dormi. Elle aimait l’odeur des cafés de Paris, le matin tôt. Elle a émietté son croissant et grignoté les bouts. Le café était très chaud, elle a grimacé en se brûlant la langue. « Vous vous appelez comment ? » « Julia. » Ludo m’a fait un signe en me montrant l’horloge derrière le bar. Je me suis levé et j’ai sorti des pièces de ma poche. « C’est pour moi. » Quand je suis parti, elle picorait les miettes dans l’assiette et commandait un autre café. Mon numéro de téléphone froissé dans le cendrier.
texte Eugénie Rambaud

jeudi 21 avril 2011

L’heure douce




    15h. En s’ouvrant, la porte du salon de thé ne fait pas de bruit. Les clients de midi sont partis, c’est l’heure où, dans Paris, les cafés se vident. Je viens ici tous les jeudis : comme on s’attache, quand on est seul, à des habitudes sans nécessité. Je m’installe à la petite table près de la fenêtre. Ce n’est pas la plus confortable, mais j’aime regarder les passants, ça me repose de ma lecture. Dans le square, il y a encore quelques promeneurs, des personnes âgées, souvent, assises sur un banc, qui fixent d’un œil las les parterres soignés. Aurais-je ce regard, moi aussi, dans quelques années. J’ai apporté un livre, le dernier, il change presque tous les jours. Le reflet du soleil sur la table frotte les taches de graisse. Un bon coup d’éponge, voilà ce qu’il faudrait. Le serveur est un nigaud, j’ai envie de lui prendre son carnet des mains, ou de descendre à la cuisine moi-même, tiens, et d’y commander mon thé. Depuis le temps que je viens, c’est un peu chez moi, ici. Mais je me tiens tranquille pendant qu’il débarrasse la pile d’assiettes sales. Il ne fait même pas semblant de me reconnaître. Il a laissé des miettes sur la table, je résiste à la tentation de les piquer du doigt. J’ouvre mon livre, la circulation s’est assoupie, des pépiements d’oiseaux s’entrelacent entre les mots, un cri, une porte qui claque. Comme le ciel est bleu... Combien de coups au clocher de *** ? J’entends des pas dans l’escalier. Deux femmes d’un certain âge se hissent en haut des marches. En m’apercevant elles baissent la voix. Je suis ici chez moi. Elles renoncent à la table la plus proche, près de l’autre fenêtre, et choisissent une table ronde au centre de la pièce. Tant pis pour elles : les chaises sont branlantes. Un peu plus tard, ce sont d’autres pas, plus légers, un couple cette fois, des étrangers qui élisent d’emblée le canapé. Ma présence ne les dérange pas, ils parlent fort, mon heure est passée. Les tables se remplissent une à une, un léger brouhaha couvre ma page d’un voile de confidences indiscrètes. La rue est encombrée, dans le square des femmes et des poussettes ont chassé les vieilles gens. Le serveur lorgne ma tasse vide, je referme mon livre. Il est temps pour moi de rentrer.
texte Eugénie Rambaud




Où rencontrer la Parisienne du jour ? 



le bar à thé «Delyan» se situe en plein coeur de Paris, en face de la tour Saint-Jacques.
8, rue Saint Martin, Paris (4ème), M° Châtelet






jeudi 14 avril 2011

jeudi 7 avril 2011

Le digicode

    La porte du 21 était obstinément close. J’avais retourné dans tous les sens les cinq chiffres griffonnés sur un bout de papier : rien n’y faisait. Les fenêtres du quatrième étage étaient fermées, mais sur le balcon du premier je distinguai le bout d’un pied nu et une main qui pendait. Une fille prenait le soleil dans une chaise longue. 
- Pardon, mademoiselle ?...
Elle se redressa. Je vis qu’elle était en maillot de bain. La chaleur avait coloré de rose ses pommettes et ses yeux étaient ensommeillés. 
- Bonjour. Je m’excuse de vous déranger, mais je viens voir un ami qui habite l’immeuble et je n’ai pas le bon code. » Je lui montrai le bout de papier. « Vous pourriez faire quelque chose pour moi ? »
Elle se leva et s’accouda nonchalamment au balcon. Puis d’une voix où traînaient l’ennui et les restes d’une sieste interrompue : 
- Pourquoi vous ne l’appelez pas, votre ami ?
- Mon téléphone n’a plus de batterie.
Elle haussa les épaules.
- Évidemment. 
Les orteils de son pied droit posé sur la rambarde jouaient avec les rayons du soleil.
- Mais comment être sûr que vous venez vraiment voir un ami ?
Je réprimai un mouvement d’agacement.
- Il s’appelle Jérémie, il habite au quatrième.
- Jérémie ? Ca ne me dit rien. Jérémie comment ?
- Ecoutez, je n’en ai aucune idée. C’est un ami, je ne demande pas à tous mes amis…
- On n’a qu’à l’appeler.
Elle se mit à crier : « Jérémie ! Jérémie ! Jé-ré-mie ! » C’était une rue passante, on commençait à se faire remarquer. Elle se retourna vers moi, un fin sourire aux lèvres : « Il n’a pas l’air d’être là, votre ami », et elle s’écarta de la rambarde en pivotant sur la pointe des pieds.
- Comment ça… Bien sûr que si, il est là ! Attendez ! 
Elle s’était faufilée à l’intérieur. Autour de moi, les regards d’abord furtifs s’attardaient. J’entendis alors la voix d’un homme dans mon dos. « On peut vous aider ? » Il mit la main sur la poignée. « Oui ! Je n’ai pas le code et... » « Il n’est pas activé dans la journée. » Et il tint la porte pour me laisser passer. 
texte Eugénie Rambaud